
Ferréole LESPINASSE et Sébastien RUFER
Bien souvent, dans un projet d’écoconception, ce sont les outils qui sont traités en priorité pour réduire l’empreinte environnementale de sa communication numérique. Puis, c’est seulement dans un deuxième temps que le parcours utilisateur est questionné. Ce dont nous souhaitons vous faire prendre conscience : la technique et les outils ont un impact moindre sur l’environnement.
Entamer une démarche d’écoconception invite à communiquer autrement. Fini les habitudes, parce que l’an dernier, c’est ainsi que les équipes ont procédé, ou encore parce que d’autres font comme ça. Il s’agit de se concentrer sur le message à faire passer, l’action à effectuer en ayant pour objectif de répondre au besoin et d’accompagner les usages. En évitant le superflu pour se concentrer sur les essentiels.
Faire autrement, voici la clé pour mettre en œuvre une démarche d’écoconception.
Contexte
Pour situer le discours, rappelons la loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique). Depuis 2021, elle contraint les collectivités de plus de 50 000 habitants à adopter une stratégie Numérique Responsable (NR).
Cette stratégie NR porte au-delà du site web. Elle concerne tous les aspects du numérique : gestion du matériel informatique, fracture numérique, accessibilité, hygiène numérique, etc. Concentrons-nous sur la réduction des impacts liés au web.
Rappelons quelques ordres de grandeur
En France, le numérique représente 4% à 6% des émissions mondiales des gaz à effet de serre, soit autant que l’aviation civile.
À titre d’exemple, l’utilisation du numérique en France consomme 10% de notre électricité.
Son empreinte progresse très vite avec la multiplication des usages du numérique, dans une époque « où le numérique est la réponse à tout ». C’est bien vers le contraire que nous souhaitons vous emmener.
En plus de son impact environnemental, le numérique contribue à une surcharge informationnelle.
53% des Français déclarent souffrir de fatigue informationnelle. Ce qui conduit 72% d’entre eux à cesser de consulter les informations. Quand on sait que 95% des pages du web ont un trafic nul sur Google , on peut s’interroger : pourquoi autant communiquer si ce c’est pour ne pas être visible ? est-il réellement nécessaire de communiquer ?
Notons également que 48% des Français éprouvent au moins une forme de difficulté qui les empêche d’utiliser pleinement les outils numériques et Internet. Et que 15 % des Français de plus de 15 ans sont en situation d’illectronisme.
Transformer les usages
Face à un tel tableau, une transformation des usages autour du numérique est à penser.
Pour réduire les impacts de la Com’ numérique, appuyons-nous sur l’écoconception.
Attention, bien souvent, l’écoconception web s’arrête à l’optimisation technique du site : le périmètre fonctionnel et de communication reste inchangé.
Ce n’est pas toujours suffisant pour s’inscrire dans une réelle réduction des impacts environnementaux. Il faut aller plus loin.
4 niveaux d’écoconception
Pour questionner l’usage du numérique en communication, questionnons les 4 niveaux d’écoconception :

Appliquer jusqu’au bout les principes d’écoconception et de sobriété éditoriale entraîne un changement de regard et d’utilisation du numérique pour sa communication
Niveau 1 : c’est l’amélioration du produit.
- Côté ergonomie/technique : respecter les bonnes pratiques techniques, avoir une démarche qualité, respecter l’accessibilité.
- Côté éditorial : réviser les messages en langage clair, actualiser le contenu existant.
Niveau 2 : c’est la reconception du produit tout en conservant sa fonction et le fait qu’il réponde au juste besoin usager
- Côté ergonomie/technique : optimiser et simplifier le parcours utilisateur, faciliter la navigation.
- Côté éditorial : supprimer une rubrique, supprimer du contenu obsolète, créer des raccourcis de navigation.
Niveau 3 : c’est l’innovation des fonctions. Il s’agit de repenser la manière de répondre à un besoin en réduisant drastiquement l’impact environnemental.
- Côté ergonomie/technique : définir un nouveau parcours utilisateur.
- Côté éditorial : réviser l’arborescence en se concentrant sur les essentiels
Niveau 4 : c’est l’innovation du système, tout le modèle de l’organisation remis en cause, en appliquant l’adage : « ce qui a le moins d’impact, c’est ce qui n’est pas produit. »
- Côté ergonomie/technique : questionner l’usage du numérique.
- Côté éditorial : questionner la nécessité de communiquer
Levons les freins
Auprès des services
La mise en œuvre d’une telle démarche doit intégrer la prise en compte des besoins en visibilité des services. Répondre uniquement au besoin usager entraine, le plus souvent, la réduction de l’arborescence. Pour certains services, cela peut être vécu comme une invisibilisation de leurs actions. Il est donc primordial de nourrir leurs besoins de valorisation en les présentant au service de l‘usager : intranet, magazine interne, etc.
Les sensibiliser à la pensée usager est un premier pas pour prendre conscience de la différence entre ce que fait le service et la réponse au besoin usager.
Auprès des élus
Sensibiliser ceux qui décident : élus, hiérarchie, est également un passage incontournable. Bien souvent, ils sont baignés dans la communication « à la papa », visant à crier dans un haut-parleur qu’on est les plus forts. Ils pourraient donc se trouver déroutés par une communication qui va droit au but et aux essentiels. Et imposer des solutions contre- productives.
Auprès des communicants
Chausser les lunettes de la sobriété et accepter de faire autrement demande de l’audace, le courage de ne pas faire comme les autres et d’assumer ses positions. Et ce n’est pas en un tournemain qu’on l’opère.
Vous trouverez plus bas des ressources assez inspirantes pour passer la première marche.

Conclusion : les actions techniques ont un impact faible, comparé aux actions sur le parcours utilisateur, voire le questionnement sur l’usage du numérique et sur la communication.
En prenant le temps de la réflexion, l’écoconception invite à faire autrement. Elle invite à repenser le besoin.
En repartant dans vos organisations, vous pouvez au travers de divers outils diagnostiquer l’existant : Éco-index, audit de sobriété éditoriale, Analyse de Cycle de Vie (ACV) de l’écosystème numérique. Une première étape qui vous permet de prendre conscience et d’envisager un plan d’action qui englobe l’optimisation technique et le fait de repenser entièrement la réponse au besoin.
Ce que vous pouvez faire demain :
- repenser vos parcours utilisateurs pour les simplifier,
- interroger le passage au numérique pour n’importe quelle action,
- réviser l’ensemble du contenu en langage clair.
Pour aller plus loin
Dans d’autres galaxies :
- Quand faut-il numériser ?, Designers éthiques
- Faut-il éco-concevoir tous les services numériques ?, Designers éthiques
- Faut-il vraiment croire dans un numérique responsable ?, Clément Fournier
- Défaire nos attachements à la numérisation ?, interview de Gauthier Roussilhe et Alexandre Monnin, dans le podcast « Les Numériques essentiels 2030 », avec le collectif frugarilla.fr
- Rediriger la numérisation ?, Marie-Cécile Godwin et Fanny Parise dans le podcast « Les Numériques essentiels 2030 », avec le collectif frugarilla.fr
- Pour un numérique acceptable et d’intérêt général, Arnaud Levy et Louis Derrac, dans le podcast Techologie de Richard Hanna
- Sobriété éditoriale : renoncer pour mieux communiquer ?, Cap’Com sur le site de CAP COM, le réseau de la communication publique
- Comment réaliser le cahier des charges d’un site éco conçu, sur le site de CAP COM, le réseau de la communication publique
- Le site sobriété éditoriale
Lois et référentiels
- Empreinte environnementale : réduction de l’empreinte environnementale du numérique – loi REEN, 2021. « Article 35 : I. Les communes de plus de 50 000 habitants définissent, au plus tard le 1er janvier 2025, une stratégie numérique responsable qui indique notamment les objectifs de réduction de l’empreinte environnementale du numérique et les mesures mises en place pour les atteindre. » Éco- concevoir son site internet en fait partie.
- Référentiel général d’écoconception de services numériques – RGESN
- Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité – RGAA
- Référentiel de la qualité Web – OPQUAST
- 115 bonnes pratiques d’écoconception web
- Référentiel de Sobriété éditoriale
- Langage clair norme ISO 24495
- Protection des données : règlement général sur la protection des données – RGPD, 2016.
Aux manettes

Ferréole LESPINASSE
Conseille et forme les organisations autour de la rédaction de contenus

Sébastien RUFER
Spécialiste en écoconception Web