#LeLab

[Le Lab] L’intelligence collective

Pendant 30 ans dans la communication publique, j’ai toujours cru que j’avais donné toute sa chance à cette fameuse « intelligence collective ». Et bien il se trouve que non...

, Mis à jour le  —  Lecture 4 minutes

Pendant 30 ans dans la communication publique, j’ai toujours cru que j’avais donné toute sa chance à cette fameuse « intelligence collective ». Réunions publiques, actions de concertation, consultations d’instances de participation, etc. … Je pensais avoir été parfaitement au service de son expression.
Eh bien il se trouve que non !

Marc Thebault lors du Lab


En effet, et je l’ai compris un peu tard, tout cela ne relevait pas, loin s’en faut, de l’intelligence collective.
Au mieux, c’était de l’intelligence … « collectée » : on emmagasine des idées et puis au-revoir et merci, on va décider sans vous ! Voire décider de ne rien faire.
Et vous connaissez toutes et tous le sort qui a été réservé aux conclusions de toutes ces consultations citoyennes lancées par le gouvernement depuis quelques années. Mais c’est un autre sujet. Quoique, depuis le 9 juin dernier, hein ? Bref…

Allez, revenons à l’intelligence collective. Ce fameux « 1 + 1 = 3 » que nous connaissez toutes et tous. Le fait que « un tout est toujours supérieur à la simple somme de ses parties » comme le dirait Edgar Morin (et d’autres avant et après lui je crois).

Lorsque Franck m’a demandé d’intervenir sur ce sujet, je me suis d’abord demandé si, en fin de compte, ce n’était pas juste une croyance un peu naïve. Vraiment, peut-on penser que rassembler des abrutis notoires et leur demander de réfléchir ensemble débouche forcément sur une idée pertinente ? Sérieusement ?

Mais j’ai aussi vécu, et peut-être vous aussi, des réunions d’experts reconnus qui n’accouchaient que de sacrées conneries.

Alors qu’en est-il ? Et bien, en grattant un peu je sujet, j’ai été contraint de reconnaître qu’il s’agit d’un fait. Et ce fait peut être démontré scientifiquement.

J’ai découvert, en particulier, une expérience menée aux USA en 2011. Des scientifiques ont proposé à 2 groupes d’assister à des procès et de prédire le montant des indemnités que les jurys pourraient accorder aux plaignants.

Le premier groupe était composé d’avocats chevronnés. Le second regroupait des étudiants en droit, sans doute brillants mais sans la moindre pratique.



Les scientifiques se sont aperçu que les erreurs commises par un étudiant étaient deux fois plus importantes que celles d’un avocat expérimenté. Rien d’étonnant a priori.

Mais, en faisant la moyenne des prévisions de plusieurs étudiants, alors tout a changé. On a constaté que la diversité et le nombre des opinions compensaient le manque d’expertise individuelle.

En effet, en combinant les diverses estimations de 14 étudiants, on obtient des résultats égaux à ceux d’un avocat expert. Et, à 15, les étudiants font mieux que ce même avocat.
CQFD : les estimations collectives combinées de débutants, si on les considère en un nombre suffisant, peuvent être donc rivaliser avec les estimations individuelles d’un expert.

Visiblement, l’idée est que l’intelligence collective dépend tout autant de l’expertise que de la diversité des opinions. Et chacune peut se compenser.

Pour faire éclore l’intelligence collective dans un groupe, de ce que j’ai lu, il faut d’abord l’organiser correctement. Il faut un cadre défini, sécurisant, avec des objectifs clairs, des prises de parole garanties et des moyens de prise de décisions connus et adaptés à la situation. Mais il y aurait surtout 3 conditions
générales à remplir :

La première condition : l’indépendance d’esprit. Chacun doit être incité à penser de manière indépendante de celle des autres. Pour tous les spécialistes du sujet, l’ennemi de l’intelligence collective, c’est le conformisme.

Et là, c’est message pour vous ce soir. Vous êtes toutes et tous très expérimentés et compétents, c’est certain. Alors ayez en tête que la pensée « mainstream » sera votre principal écueil. Osez penser autrement, oser le désaccord. Faites donc l’éloge du contre-pied et du pas de côté. Mais je suis certain que votre expertise, justement, vous a déjà appris que les solutions universelles n’existaient pas, surtout en communication publique. Non, il n’existe pas une seule manière de penser, une seule manière de faire.


Deuxième condition : la diversité. Il s’agit de faire apparaître une grande variété d’opinions différentes. Et en grand nombre.

La troisième condition enfin : l’intelligence sociale. En 2010, le MIT a tenté de vérifier si l’on pouvait mesurer le QI d’un groupe. Alors oui, on peut le faire disent-ils. Très bien.

Mais ce n’est pas peut-être pas l’enseignement le plus frappant de l’étude.
Ce qui a le plus retenu l’attention, c’est que ces universitaires ont pu montrer que l’intelligence d’un groupe n’avait rien à voir avec les niveaux de QI de chacun des membres du groupe. En revanche, ils ont pu démontrer que l’intelligence d’un groupe dépend… tadaaaam… du nombre de femmes présentes dans ce groupe.
Pourquoi ? Parce que, en général, les femmes ont une écoute plus bienveillante, une meilleure capacité à laisser les autres s’exprimer. En somme, les femmes disposeraient d’une sensibilité à l’autre, d’une intelligence émotionnelle et sociale.
Mais, dîtes moi, communicantes et communicants présents ce soir, cette « intelligence sociale » ce ne serait pas une de vos qualités professionnelles fondamentale ? Et que vous soyez femme ou homme, bien sûr. Bon, un homme un peu « déconstruit » quand même.
Cette capacité à écouter et à entendre, à comprendre, à faire preuve d’empathie, à veiller à l’expression de chacun, à poser un cadre d’expression et à le faire respecter, n’est-ce pas le fondement même de notre métier, qui est d’abord un métier de relations humaines, de médiation, avant d’être celui de la maîtrise de tel ou tel outil, technique ou numérique ?

Ainsi donc, ce soir, c’est votre intelligence émotionnelle et sociale qui sera le meilleur garant de la réussite du Fablab. La meilleure promesse que, ici et maintenant, une belle dose d’intelligence collective va émerger !

Moi je vous le dis, ça va être une sacrée soirée !

⭐ Discours d’introduction de la plénière d’ouverture du Lab, l’événement organisé par l’Observatoire de la #compublique numérique, en accès libre jusque décembre 2024. Captation et montage : Nicolas Gauthier. Retrouvez les meilleurs moments de la soirée et (bientôt) le livre blanc ici : https://myobservatoire.com/lelab/